Macareux en 1817
Buffon 1783
Morlaix, le 2 juillet 1817
[…]On les appelle les Sept-Iles. L’une d’elle, L’ile Rousic, vis-à-vis Perros, est peuplé par les macareux qui y viennent au printemps pour faire leur ponte. Alors, l’ile entière est couverte de ces oiseaux qui l’affectionnent parce que la terre en est meuble et légère, et qu’ils ont la flaccidité de s’y creuser des trous. Cependant, pour s’éviter cette peine, ils s’emparent quelquefois du terrier d’un lapin qu’ils chassent de son logis à l’aide de leur bec tranchant. Le malheureux propriétaire, sans asile, est alors obligé d’errer sur la plage jusqu’à l’époque où ces usurpateurs quittent l’ile et retournent à Terre-Neuve avec leur progéniture.
Il est assez difficile de concevoir comment le macareux, dont les ailes sont courtes et le corps pesant et qui, dans ses migrations, ne s’arrête jamais, dit-on, peut accomplir un aussi long trajet. Probablement qu’il ne met pas plus de cinq à six jours dans s traversée, et dès-lors qu’il fait au moins deux cents lieues par chaque vingt-quatre heures. Il profite toujours pour partir, d’un temps fait et d’un vent favorable. Toutefois, en ceci les animaux se trompent comme les hommes, et les milliers de cadavres de ces oiseaux voyageurs que rapporte la vague après les tempêtes ou les changements subits des vents, prouvent que leur prudence mise en défaut ne les préserve pas toujours d’accidents.
A l’entrée du terrier du macareux, on voit son œuf qu’il vient exposer au soleil. Cet œuf est à peu près de la grosseur de celui d’une poule. Lorsqu’on approche pour s’en saisir, l’oiseau sort fièrement du trou, et se présente pour le défendre. A l’aide de son bec dur et tranchant, il parvient souvent à repousser son adversaire, fût-ce un homme. Il rentre alors dans son terrier, entrainant l’œuf qu’il pousse légèrement en arrière, sans cesser de faire face à l’ennemi.
Du reste, la chasse est facile et toujours fructueuse, pour peu qu’on en ait l’habitude. Dans ces iles, qui semblent être le quartier-général des volatiles de mer, on pourrait en tuer, dans un jour, la charge d’un bateau.
Quant à moi, chasseur inhabile, étourdi par cette multitude d’oiseaux criards qui m’entouraient comme une nuée de moustiques, je ne leur faisais pas grand mal, car je ne savais de quel côté diriger le canon de mon fusil.
En butte aux sarcasmes de mes compagnons mieux acclimatés ou plus adroits, je pris un bâton, et je me moquai d’eux à mon tour, car le produit de ma chasse eut bientôt excédé le leur.
Le grand pingouin apparait, dit-on, de temps en temps sur cette côte. On sait qu’il ne vole pas ; il arrive ainsi du nord en nageant et en plongeant. Ceci a pu avoir eu lieu autrefois, mais aujourd’hui que cet oiseau est devenu rare, je doute fort qu’il se montre encore en Bretagne.
Au printemps, les pêcheurs vont parcourir les rochers et les îlots du littoral pour y recueillir des œufs qui, lorsqu’ils ne sont pas couvés, sont une assez bonne nourriture : c’est, pour eux, la manne du désert.
Les débris de naufrages sont poussés vers les Sept-Iles. Cette mer, hérissée de rochers, est une des plus orageuses du monde. Pendant la tempête, les lames s’y élève à une hauteur que je n’ai pas vue ailleurs.
Un jour, nous partîmes de Perros pour aller à l’ile Rousic. Au moment où nous sortons de la rade, nous vîmes rentrer les pêcheurs ; ils prévoyaient le gros temps. Notre embarcation était un canot non ponté, de 18 pieds de quille. L’équipage consistait dans le pilote et trois matelots. A environ une lieue au large, nous fûmes accueillis par un grain. Le pilote me demanda s’il fallait continuer. Je lui dis de tâcher de nous mettre à l’île la plus voisine. Mais la brume qui s’éleva, nous la fit perdre de vue. Bientôt nous cessâmes de voir le continent, quoique nous n’en fussions pas à deux lieues. Le vent augmentait de moment en moment, et la pluie tombait par torrents. Nous étions au milieu du chenal ; La mer, resserrée entre la côte et les Sept-Iles, y est toujours fort houleuse. En cet instant, elle était terrible. Les matelots commençaient à faire des signes de croix, et les Bretons ne s’intimident pas facilement. Notre situation était effrayante. Plusieurs fois la mer nous couvrit entièrement ; nous étions littéralement entre deux eaux : à tout instant, nous nous attendions à êtres engloutis.
Enfin, le temps s’éclaircit. Nous sortîmes des brisants, nous trouvâmes une mer plus tranquille. Vers dix heures, nous abordâmes à Rousic. Je montai sur le point le plus élevé de l’île ; la brume était dissipée. Le spectacle était magnifique : les vagues, se brisant contre les rochers, s’y perdaient en vapeurs blanches. Le soleil, qui reparaissait par moment à travers les nuages dont il rendait la teinte plus sombre, formait un contraste étrange.
Le vent mugissait toujours. Les macareux, effrayés et sortant par milliers de la terre minée par leur terriers et qui enfonçait sous nos pas, volaient silencieux, et se croisaient en tout sens, se heurtant contre nous, puis s’abatant dans nos jambes. Les coups de fusil qu’on tirait pour éloigner cette troupe incommode, produisaient l’effet contraire : une multitude d’autres oiseaux venaient tourbillonner autour de nous avec n bruit assourdissant.
Vous voyez que les macareux ne sont pas les seuls habitants ailés de Rousic : les hirondelles et pies de mer, les mouettes, les goélands, les cormorans y son aussi en grand nombre, et l’on ne peut faire un pas sans rencontrer des œufs sur le gazon ou même sur le roc vif. Là, le les apercevant pas toujours, nous y fîmes plus d’une omelette.
On trouve aussi à Rousic, mais non fréquemment, des nids de faucons, et de la meilleure espèce. Le soir, la mer redevint calme, et nous retournâmes à Perros.
Ce texte est un extrait d’une lettre de M. Boucher de Perthes
Edité en 1863 dans « souvenirs de 1791 à 1860 »
M. Boucher de Perthes était en 1817 directeur des douanes à Morlaix.
D’autres lettres relatant des interventions maritimes des douanes sont intéressantes et seront mise en ligne sur le blog.
Pierre-Yves