La chasse est ouverte
Une chasse au macareux en Bretagne.
Grand amateurs de chasse en mer, nous projetions depuis longtemps, mon ami Ch. D… et moi, d'aller visiter les côtes de Bretagne. […]
Si nous ouvrons la Chasse au gibier à plumes, du docteur Chenu, petit traité d'ornithologie précieux pour tout chasseur, nous y trouvons la description suivante du macareux: "Le macareux ou perroquet du nord a les joues et les côtés de la tête d'un blanc grisâtre; le dessus de la tête et le dos noirs; un collier de même couleur sur le cou; le dessus du corps blanc. Pattes rouge orangé Bec singulièrement comprimé sur les côtés, gris bleuâtre à la base, jaune au milieu, rouge à la pointe et présentant trois sillons à la mandibule supérieure et deux seulement à l'inférieure, et une rosace jaune aux commissures. Longueur, 0m, 30. "
La description est fort exacte et donne suffisamment l'aspect de l'oiseau. Nous ajouterons seulement, pour le chasseur, que le macareux est de la famille des plongeurs, comme les pingouins et les guillemots et se nourrit comme eux de coquillages et de poisson.
Mais où trouver l'oiseau? […] nous nous adressâmes à Delsalle, le naturaliste de la rue des Saints-Pères, qui nous avait donné l'idée de cette chasse. Il nous apprit qu'il avait reçu, dix ans auparavant, d'un de ses clients, quantité de macareux; qui lui étaient expédiés de Perros-Guirec, petit port des Côtes-du-nord, et que la chasse avait eu lieu dans un ilot du groupe des Sept-Iles, situé à quelques milles au large.
Forts de ces renseignements et bien munis de cartouches, nous quittions Paris le soir du 15 mai 1880, veille de la Pentecôte, et nous nous dirigions sur Plouaret, station de la ligne de Brest. Le lendemain matin, nous montions en voiture, nous allions déjeuner à Lannion et nous arrivions à deux heures au port de Perros. On nous avait indiqué l'hôtel du Levant; nous y descendîmes. Ce n'était pas luxueux; mais nos chambres étaient propres et n'offraient pas de trace d'humidité; nos fenêtres donnaient sur le port, nous apercevions devant nous la mer et à gauche la pointe de Perros et quelques-unes des Sept-Iles, et nous n'avions que le quai à traverser pour nous embarquer.
Il ne fallait pas songer à prendre la mer ce jour-là, la journée était trop avancée; il en fut de même le lendemain, car le vent soufflait grand frais du nord-est, c'est-à-dire du large, étant donnée la position de Perros, et les vagues brisaient avec fureur.[…]
L'arrière-port était alors à sec et nous pûmes examiner sur la vase les embarcations qui composaient la flotte de Perros. Parmi elles nous remarquâmes une barque non pontée, de quinze pieds de quille environ, paraissant bien construite et bonne marcheuse. C'était la Gazelle. Le patron avait, nous dit notre hôte, l'habitude de promener les amateurs, et conduisait souvent, au mois de juin, à l'ile Rougie (sic), des chasseurs nantais qui venaient faire la guerre aux calculots. Les calculots, c'étaient nos macareux. Le hasard nous servait à souhait. Nous nous mîmes immédiatement en rapport avec le patron Jésequel et il fut convenu que dès le surlendemain, si le temps le permettait, nous partirions à marée descendante pour l'île Rougie, emportant avec nous notre déjeuner. C'était une excursion d'une dizaine d'heures environs, le trajet demandant de une heure à trois heures, selon le vent.
Le surlendemain, au petit jour, nous quittâmes le port. Le vent était tombé et c'est à peine si une faible brise gonflait nos voiles. Au cours du trajet, le patron, encore vigoureux malgré son âge, dût même se mettre aux avirons avec son matelot Théodore. Le défaut de vent nous empêcha de poursuivre un grèbe et quelques guillemots que nous aperçûmes en route, et de longer certaines roches affectionnées des cormorans. Enfin, après avoir laissé sur la droite l'île Thomé et ses falaises, et sur la gauche, mais au loin, les roches pittoresques de Plomanach (sic) et l'île aux Moines, la plus importante du groupe des Sept-Iles, nous vîmes se dessiner nettement et grandir l'île Rougie, le théâtre de notre chasse future.
L'île Rougie n'est autre chose qu'un ilot désert de deux cents mètres de long environ sur quatre-vingt de large et cinquante ou soixante de haut. Au bas c'est un chaos de rochers que l'on ne peut accoster que par une mer très calme; puis le sable et la terre végétale apparaissent, donnant naissance à une herbe courte et rougeâtre que rongent quelques lapins étiques qui se sont ça et là creusé des terriers. C'est précisément dans certains de ces terriers que les macareux viennent déposer leurs œufs au mois de mai, après en avoir expulsé les habitants.
Arrivés à quelques centaines de mètres de l'île, nous découvrîmes sur l'eau quelques oiseaux isolés dans lequel nos jumelles marines nous firent reconnaitre à leur bec rouge des macareux. Nous nous dirigeâmes sur l'un d'eux, il nous attendit bénévolement; un coup de plomb n°6, tiré à trente pas, mît fin à ses réflexions philosophiques; Nous en tuâmes deux ou trois autres à l'eau ou au vol sans changer notre route, et enfin nous accostâmes l'île par le côté le plus facilement abordable.
Il fallait toutefois prendre de grandes précautions pour ne pas défoncer l'embarcation. Pendant que nos matelots la maintenaient le long d'une roche, nous sautâmes à terres, suivis de l'un d'eux, et l'autre poussa au large. Passant alors de rochers en rochers, nous accrochant des pieds et des mains, nos fusils préalablement mis en bandoulière, nous gagnâmes la terre ferme. Nous eûmes alors à escalader l'île, et l'ascension n'était rien moins que facile, bien que le terrain fût sec. Elle était même dangereuse et plus d'une fois nous glissâmes sur l'herbe du sommet non sans une certaine émotion; j'en appelle aux souvenirs de mon compagnon de chasse qui, à un moment donné, une pierre ayant manqué sous son pied, se sentait descendre lentement vers le bord escarpé de la falaise, sans trouver aucun point d'appui.
Peut-être eussions-nous reculé, mais notre matelot nous prévint, sous forme d'encouragement, que les terriers des macareux étaient pour la plupart sur l'autre versant, et qu'il nous fallait arriver là pour faire chasse. Nous continuâmes donc. Des goélands, des mouettes, voire même des oiseaux de proie, planaient sur nos têtes, profitant de l'impossibilité momentanée où nous nous trouvions de nous servir de nos armes. Enfin nous arrivâmes au but.
Nous étions redescendus sur le bord d'une sorte de falaise assez basse. Sous nos pieds étaient creusés les terriers occupés par les macareux, et notre matelot se mit en devoir d'explorer les trous au moyen d'un bâton muni d'un crochet. Hélas! La saison n'était pas assez avancée. Les oiseaux ne couvaient pas encore, ils se tenaient à la mer et nous pûmes les apercevoir de l'autre côté de l'île en bandes nombreuses, plongeant à l'envi l'un de l'autre pour conquérir leur déjeuner. Trois ou quatre seulement partirent de leurs trous, nous offrant l'occasion de coups plongeants et nous rappelant le tir du lapin au furet. Nous ramassâmes nos victimes et deux gros œufs blancs, l'espoir de deux familles de macareux, et nous regagnâmes la barque, déterminés à poursuivre notre gibier sur son élément.
C'était le plus sage; en commençant par là, nous nous serions ménagé une chasse plus belle et moins fatigante. Nous étions à peine dans la barque, occupés à déjeuner à l'abri des rochers, que quelques macareux vinrent, en sifflant comme des macreuses, passer et repasser près de nous. Leur vol est fort rapide lorsqu'ils sont lancés et il faut avoir soin de les tirer bien en avant du bec. Nous en tuâmes ainsi quelques-uns, nous en manquâmes un plus grand nombre. Puis, levant l'ancre, nous appareillâmes, nous dirigeant sur une bande que nous apercevions un peu plus au large et bien décidés à ne tirer qu'à belle portée sur des oiseaux qui n'étaient pas effrayés. Six macareux restèrent sur l'eau aux premiers coups, nous en abattîmes un autre au vol. L'un d'eux, blessé seulement, se mit à plonger, et c'était chose curieuse que de voir cet oiseau s'enfoncer à pic dans nue eau si limpide que le regard le suivait facilement à vingt pieds de profondeur. Enfin, un coup de fusil l'arrêta dans sa fuite désespérée.
La marée montait déjà depuis quelques heures, il fallait partir pour arriver au port à la pleine mer. C'est ce que nous fîmes, tirant encore quelques coups de fusil en route, nous promettant de recommencer la partie.
Nous la recommençâmes en effet le lendemain. Cette fois le vent s'était un peu élevé, et la Gazelle, justifiant son nom, s'élançait légèrement sur les vagues, portant toute sa toile, foc, misaine et taille-vent. C'était un vrai plaisir que de se sentir marcher avec cette vitesse. Arrivés au large de l'île Thomé, nous filâmes une ligne à l'arrière de la barque, avec l'espoir de prendre en route quelques dorades semblables à celles que nous avions vues, la veille, rapporter au port par les pêcheurs. Mais nous n'avions pour amorces que des débris de sardines trop vieux; la boette ne valait rien. Aucune secousse ne se fit sentir à la main attentive qui tenait la ligne et nous ne tardâmes pas à laisser celle-ci pour les fusils.
Au pied de l'île Rougie, à l'endroit même où nous avions mouillé la veille, une longue bande d'oiseaux apparaissait, se détachant en blanc sur les eaux vertes où se dressaient les rochers. Les macareux étaient fidèles au rendez-vous. La bande composée d'une cinquantaine d'individus nous laissa arriver à belle portée. Mal lui en prit; nos quatre coups, prenant les oiseaux en écharpe au moment où ils s'envolaient, en abattirent une demi douzaine. Nous réussîmes à tirer de la même façon plusieurs autres bandes dans le courant de la journée. Bref, notre succès fut plus grand encore que celui de la veille. Soixante macareux, deux huitriers, quelques tourne-pierres et goélands, tel fut le bilan de nos deux jours. Je ne parle pas des oiseaux blessés ou mêmes tués raides et emportés au large par les courants; je ne dis rien non plus d'un magnifique homard et d'une araignée de mer achetés à des pêcheurs qui venaient relever leurs casiers près de nous.
A bord du Yacht Canada le 21 juin 1896
La chasse eût été beaucoup plus belle si elle eût eu lieu un mois plus tard. Vers la fin de juin, en effet les macareux ont leurs petits à nourrir: ils se livrent à un va-et-vient continuel entre la mer et le nid, et, à en croire nos matelots, le chasseur caché au pied des roches peut à peine suffire à charger et à tirer, et peut facilement brûler une centaine de cartouches en quelques heures.
Si vous ne craignez pas le mal de mer et si vous voulez goûter de cette chasse, partez donc vers le milieu ou la fin de juin, prenez la ligne de Bretagne jusqu'à Plouaret et de là gagner Perros. A défaut du patron de la Gazelle, que je vous recommande, vous trouverez bien quelque matelot et quelque barque pour vous conduire à l'île Rougie, si le temps est favorable. Mais n'oubliez pas d'emporter une bonne provision de cartouches et de munitions car vous risqueriez fort de ne pouvoir vous en procurer à Perros, à une époque où la chasse est fermée depuis longtemps.
Mais que fait-on de son gibier, me direz-vous? Si vous avez des amis collectionneurs d'oiseaux, vous leur ferez grand plaisir en ajoutant à leur collection une paire de macareux. L'oiseau est rare partout ailleurs qu'à l'île Rougie et peut-être dans quelques autres ilots de Bretagne, et il figure avantageusement dans une vitrine avec son bec rouge qui le fait ressembler à un perroquet, sa cravate noire et son ventre blanc.
Si non, vous n'aurez plus qu'à faire cadeau de votre gibier à votre matelot, à moins que vous ne préfériez le manger vous-même.
Les pêcheurs mangent le macareux, mais j'avoue franchement que l'envie d'y goûter ne m'est point venue, je connaissais trop ce genre de nourriture de ce perroquet de mer. Voulez vous en tâter cependant?
Voici la recette donnée autrefois par la Chasse Illustrée: "Ecorcher les oiseaux, les couper en morceaux, les assaisonner de poivre, de sel et d'huile, mettre le tout à cuire doucement dans une marmite à l'étouffée et servir chaud. " Peut-être arriveriez-vous de cette façon à faire disparaître le goût huileux qui s'attache à la chair des plongeurs. Je doute toutefois que vous ne fassiez jamais du macareux un mets digne des éloges de Brillat-Savarin.
H. Tissier
Extraits d'un l'article paru dans "La chasse illustré" du 7 mai 1881
Autre époque, autre mœurs, aujourd'hui un tel massacre est particulièrement choquant.
Pour nos prochaines sorties à bord du Kotick ou d'Ar Jentilez, la chasse au macareux est ouverte ! La chasse photographique bien sur, pensez au concours photos.
Pierre-Yves
Photo de Guy Biarnes, à bord d''Ar Jentilez, juin 2009